Source anonyme. Tourné la nuit du 21 juin vers trois heures du matin, de l'autre côté du pont.
ÉVÉVENEMENT DU 21 JUIN
Le 16 décembre prochain, une nouvelle réunion devrait fixer l’avenir du hameau de la Bérarde et du Champ de Pin. En attendant cette décision tant attendue, nous voudrions une nouvelle fois remercier toutes les personnes qui nous ont soutenues et surtout celles auxquelles malheureusement nous n’avons pas encore pris le temps de répondre. Tous ces messages de sympathie, d’encouragements et de remerciements ont été pour nous une source d’énergie vitale essentielle en ces moments difficiles. Suite aux nombreuses questions qui nous ont été posées par les uns et les autres, et maintenant que le temps est passé, il nous semble qu’un bref retour sur le déroulé de cette nuit particulière s’impose.
C’est vers minuit un quart que l’eau arrive chez nous, en nous surprenant dans notre sommeil. Contrairement à ce qui a été dit ou écrit, aucune alerte météo ne nous a été signalée la veille via la préfecture ou la mairie; ni à nous, ni au Centre Alpin Belge, l’autre établissement accueillant du public situé devant chez nous. Aucun dispositif même basique de prévention des risques ou d'alerte n’a d’ailleurs jamais été mis en place à la Bérarde, pas plus que de système de surveillance du lac supraglaciaire qui domine le village et dont l’existence est pourtant connue depuis des années par les autorités. Aussi curieux que cela puisse paraître, un lac, d’un volume égal apparemment à 30 piscines olympiques, situé sur une moraine au-dessus d’une zone habitée, ne représente semble-t-il pas un risque suffisant pour déclencher une surveillance ou une purge. Tout le monde dort donc cette nuit-là sans se douter de rien, sauf heureusement une cliente qui souffre d’insomnie et qui va nous réveiller par ses cris dès qu’elle va voir la pelouse du jardin se transformer en étendue d’eau. Après quelques secondes, nécessaires pour nous réveiller et pour enfiler de quoi nous vêtir, l’eau est déjà montée de plus d'un mètre. De l’eau jusqu’aux hanches, nous frappons aux volets pour réveiller le second couple présent, et quand la porte fenêtre s’ouvre, je me surprend à voir que l’eau était déjà au niveau de leur matelas. Ils sortent avec peine par la porte fenêtre en manquant de peu de se faire entraîner dans le fond de la chambre par la force du courant. Quelques secondes plus tard et c’est dans la chambre de nos enfants que nous sommes, pour les saisir en hurlant et les amener vers le haut du bâtiment à travers un escalier ruisselant d'eau. Pendant leur évacuation l’eau boueuse tourbillonne et cogne derrière les portes vitrées et commence à rentrer dans la pièce par tous les côtés... Par miracle nous réussissons à tous nous réunir à l’étage, tandis que l’eau recouvre entièrement le rez - de -chaussée de l’établissement. La lumière des lampadaires tient encore et nous profitons d’une accalmie relative, durant laquelle aucun tronc ou voiture ne passe dans le courant, pour tous sortir, traverser la route inondée, et nous réfugier, qui en pyjama, qui pieds nus, chez nos voisins et amis du Centre Alpin Belge. C’est dans ce lieu surélevé, vêtus de ce que l’on va gentiment nous prêter, que nous passerons le reste de la nuit avec une quinzaine d’autres personnes présentes dans le centre. Tout de suite le SDIS est prévenu (à 1 heure du matin) de l’embâcle au niveau du pont et d’une «colline de pierres» que nous voyons distinctement derrière les chalets situés en amont de l’établissement et dans lesquels, nous l'apprendrons le lendemain, des gens vont résister comme ils pourront toute la nuit contre la montée de l'eau. Nous tentons une reconnaissance dans cette direction mais des colonnes d’eau et de pierres s’élèvent jusqu’au niveau des arbres et nous empêchent d’aller plus loin dans cette direction. L’appel suivant (à 1:30) sera pour transmettre directement à l’élu de la commune présent à la Bérarde des détails précis sur les événements et l’alerter sur l’ampleur de la catastrophe en cours. Nous apprendrons bien plus tard et avec beaucoup d’étonnement que, malgré l'évidence des risques, l’évacuation du reste du village ne commencera qu’au moins trois heures après notre appel, pour finir miraculeusement quelques minutes avant que l'eau ne déferle. Ces appels faits, notre premier réflexe sera ensuite de remplir des casseroles d’eau potable avant qu’elle ne cesse de couler, et de positionner une voiture les phares allumés en direction du torrent, pour nous laisser quelques secondes de réaction si une vague arrive ou si la montagne de pierres avance… Le téléphone, comme l’électricité, tient toute la nuit mais nous n’aurons pas d’autre contact avec le monde extérieur jusqu’au matin, quand les hélicoptères nous ont évacués sur les Deux-Alpes.
Nous tenons à remercier publiquement nos amis du Centre Alpin Belge pour leur amitié dans l’épreuve; François et Geneviève pour tout de suite avoir recueilli notre grande famille; Christian et Anne Marie pour leur soutien indéfectible; Hervé, Pascal, Philippe, Babeth et la communauté des grimpeurs pour leur enveloppe de secours; Chrystelle pour son accueil et sa générosité; tous ceux qui nous ont soutenus par leurs messages et bien sûr Mme Carola L. et son mari sans lesquels au moins huit personnes ne pourraient aujourd'hui lire ces quelques lignes. C'est grâce à ce couple de touristes flamands que les secours ont pu être prévenus immédiatement et que le hameau a été alerté. Sans eux le village serait resté engourdi dans son sommeil jusqu'à l'arrivée de l'eau...Nous espérons que ce bref récit permettra de mieux comprendre la dynamique du 21 juin et de remettre certains faits à leur place pour une analyse ultérieure.
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